sensibilisation des acteurs institutionnels à une approche élargie de la précarité énergétique

Réponse à la Consultation de Soutien à l’Innovation PREBAT PUCA ADEME ANAH

Rappel (résumé de la proposition):

Dans l’esprit des collectivités territoriales, mais aussi du monde du travail social, le concept de précarité énergétique est souvent associé principalement : A des ménages locataires à faibles revenus; A des ménages en difficulté de paiement des charges liées au chauffage et à l’électricité.

Notre hypothèse de travail est que la précarité énergétique : Revêt des formes très variées / Concerne également des ménages propriétaires / Concerne également des ménages non identifiés dans le cadre de dispositifs sociaux / Est à appréhender dans le cadre d’une analyse budgétaire incluant l’ensemble des charges d’un ménage et non pas les seuls budgets énergie / Est à appréhender dans le cadre d’une analyse incluant une approche des déplacements des ménages en lien avec la localisation de leur habitat, et particulièrement les déplacements automobiles.

Notre projet consiste à mener une démarche d’entretiens approfondis au domicile avec analyse budgétaire du ménage donnant lieu à un suivi pour un échantillon de 100 ménages identifiés au travers de l’activité des associations PACT Habitat et Développement fournissant des contributeurs à notre projet de recherche, mais aussi au travers de notre partenariat :

  • Ménages occupants de logements insalubres, ménages non sédentaires non titulaires d’abonnements à l’énergie et ayant recours à des énergies précaires (raccordements « sauvages » eau et électricité, poêles mobiles à pétrole, à gaz…).
  • Ménages en résidence sociale ou en CHRS en déconnexion avec les éléments administratifs, financiers, de sécurité et de bon usage de la fourniture énergétique ;
  • Ménages propriétaires occupants à faibles ressources non connus des services sociaux, âgés et ou handicapés marqués à la fois par une sensibilité physique au froid, une difficulté à maîtriser les techniques contemporaines liées aux énergies, et des installations peu performantes, voire atypiques.
  • Ménages accédant à la propriété dans le cadre de prêts aidés (Prêt à Taux Zéro) en périphérie lointaine de villes moyennes dans des logements existant à faible valeur vénale et d’usage, en incapacité financière de moderniser ces logements, avec des dettes importantes et un budget grevé par les déplacements automobiles.
  • Ménages locataires du parc conventionné ou du parc à loyer libre en difficulté de paiement des charges d’énergie.

Exploiter ces entretiens afin de mettre en relief toute la diversité de la précarité énergétique, afin d’éclairer les choix de priorité en termes de « publics ». Situer par l’analyse budgétaire et comportementale la précarité énergétique au sein d’une approche intégrant l’ensemble des charges d’un ménage et notamment les déplacements, afin d’éclairer les techniques d’analyse des situations en cas d’action publique.

Au terme de la démarche et à l’issue d’un travail éditorial sur les apports de la recherche, publication d’un ouvrage pratique à destination des élus et agents des collectivités territoriales et des travailleurs sociaux.

Compte rendu de la phase 1

La première phase de notre travail se divisait en quatre étapes: Rédaction du référentiel des situations à enquêter/ Recherche et identification de ménages répondant aux critères de ce référentiel / Choix définitif nominatif des ménages à enquêter (115 ménages) / Conception de la grille d’entretien, de la grille d’appréciation technique du logement, des grilles d’exploitation des enquêtes menées, et d’un protocole de suivi à terme des ménages enquêtés.

Référentiel des situations

Après débat au sein de l’équipe de recherche et du partenariat, et pour rester centrés sur les objectifs du projet, les situations à explorer ont été ramenées à 4 grandes catégories :

Les « ultra précaires »

Ménages occupants de logements insalubres / Ménages non titulaires d’abonnements aux énergies et ayant recours à des énergies précaires (raccordements « sauvages » eau et électricité, poêles mobiles à pétrole, à gaz…) /Catégorie incluant des ménages frugaux voire abstèmes

Les propriétaires occupants fragiles

Propriétaires occupants à faibles ressources non connus des services sociaux, âgés et ou handicapés marqués à la fois par une sensibilité physique au froid, une difficulté à maîtriser les techniques contemporaines liées aux énergies, et des installations peu performantes

Les acheteurs de passoires énergétiques

Ménages accédant à la propriété dans le cadre de prêts aidés (Prêt à Taux Zéro) en périphérie lointaine de villes moyennes dans des logements existant à faible valeur vénale et d’usage, en incapacité financière de moderniser ces logements, avec des dettes importantes et un budget grevé par les déplacements automobiles.

Les locataires en froid avec les énergies

Ménages locataires du parc conventionné ou du parc à loyer libre en difficulté de paiement des charges d’énergie. Dans tous les cas, le référentiel de base a été déterminé sur la base d’une notion extensive de la précarité énergétique, soit des situations où le ménage est concerné par au moins un des six points qui suivent :

Froid objectif (<16°c)> / Incapacité à payer traduite par dette ou traduite par sous consommation / non conso. Arbitrages subis : énergie payée mais sacrifices faits sur d’autres postes / Danger pour la santé (risque CO, explosion, incendie, froid) / Préoccupation forte du ménage sur le thème de l’énergie

Recherche et identification des ménages:

Le travail de recherche et d’identification des ménages a mobilisé l’équipe de façon importante en raison de : La nécessité d’identifier un grand nombre de ménages pour tenir compte du « déchet » (impossibilité d’enquêter) / La nécessité de travailler conjointement sur un protocole de prise de contact avec les ménages car il fallait pouvoir expliquer notre démarche et obtenir l’autorisation du ménage pour venir mener une démarche lourde, à domicile / Au préalable, la nécessité de sensibiliser et de convaincre les équipes de terrain mobilisées par l’équipe projet PratiCité pour obtenir qu’elles nous communiquent les références de ménages susceptibles d’être enquêtés.

Au terme de la démarche, des listes de prospection ont été dressée pour un total de 130 ménages dans trois départements (Gironde, Pays-Basque, Lot-et-Garonne), avec un équilibre entre urbain, périurbain et rural.

Les ultra-précaires ont été identifiés via les activités des PACT Habitat Développement en matière d’accompagnement social, d’aide aux propriétaires démunis, d’animation de programmes (PIG) liés à la précarité énergétiques, et de constat décence. Plusieurs situations ont été soumises par la commission départementale partenariale de lutte contre l’habitat indigne en Lot et Garonne.

Les propriétaires occupants fragiles ont été identifiés via les activités des PACT Habitat Développement en matière d’aide aux propriétaires démunis ;

Les accédants à la propriété en logements non performants ont été identifiés grâce aux activités de diagnostic réalisées par les PACT Habitat et Développement dans lecadre des dossiers de prêt à taux zéro acquisition.

Les locataires ont été identifiés via les activités des PACT Habitat Développement en matière d’accompagnement social, de gestion locative pour le compte de tiers dans le parc privé, et grâce aux partenariats avec le monde HLM mobilisés par l’équipe notamment groupe CILIOPEE en Lot-et-Garonne.

Choix définitif nominatif

L’échantillon a été réajusté au fur et à mesure des premiers contacts avec les ménages.

Le contact avec la population des accédants à la propriété modestes a été le plus délicat, comparativement aux autres ménages, souvent plus familier du travail social et en lien avec les structures de rattachement ou les partenaires de l’équipe PratiCité.

Les ajustements et choix définitifs ont été faits dans un esprit purement qualitatif (possibilité de la situation enquêtée à apporter un éclairage, des informations), sans nulle vocation à produire un « échantillon représentatif » de la précarité énergétique…

Conception des grilles d’enquête

Appréciation de la performance énergétique des logements

Afin de permettre des comparaisons, l’appréciation de la performance énergétique deslogements enquêtés avait vocation à être réalisée au moyen d’une démarche de production d’un Diagnostic de Performance Energétique. Pour ce faire, nous avons donc eu recours aux grilles utilisées par les diagnostiqueurs certifiés DPE membres de l’équipe, grilles permettant à l’issue de l’enquête l’attribution d’une note performance et d’une note émissions de gaz à effet de serre. Selon les cas, le passage du technicien pour la réalisation du DPE a été programmé avant, après ou pendant la visite de l’enquêteur « ménage ». Pour les accédants à la propriété, les plus difficiles à entraîner vers une démarche d’entretien lourd, nous avons utilisé le DPE qu’ils avaient obtenu dans le cadre de leur achat, afin de ne pas alourdir nos actions auprès d’eux.

Grille d’entretien lourd

Les entretiens au domicile en face à face avec les ménages constituent le coeur de notre projet de recherche. Le travail de l’équipe a permis de constituer un ensemble de 103 items répartis en 6 postes de questionnement

Identifiants / Approche budgétaire / Approche comportementale / Approche par les priorités / Approche par la perception / « Itinéraire énergie »

L’esprit des questionnements et du dialogue avec les ménages est, au final, d’obtenir les informations nécessaires pour :

Montrer toute la diversité de la précarité énergétique, sans prétention de représentativité directe / Éclairer le choix des publics prioritaires pour des actions de lutte contre la précarité énergétique / Éclairer les techniques d’analyse des situations mobilisées dans le cadre de ces actions / Éclairer les ressorts de motivation des ménages (trouver les points d’accroche) / Rendre « visibles » certains publics / Mieux gérer l’après réhabilitation

Compte rendu de la phase 2

La seconde phase de notre travail est la phase centrale de notre projet de recherche : l’acquisition de notre « matériel » d’étude au travers de la réalisation de l’enquête technique et de l’enquête ménages.

Cette phase de travail s’est déroulée de mai à août 2009 et nous a permis de renseigner 95 situations (pour un objectif de 100). La difficulté de cette phase consistait notamment dans la prise de contacts et la fixation de rendez vous pour des entretiens lourds à domicile sans bénéfice immédiat pour les ménages, d’où des désistements. Les 95 situations enquêtées sont à créditer largement aux qualités d’approche mobilisées par l’équipe d’étude, mais également, aux liens de confiance noués entre les associations auxquelles appartiennent les membres de l’équipe et une partie des ménages enquêtés.

Le matériel recueilli est considérable. Il est constitué par :

  • Les fiches d’évaluation de la performance thermique des logements enquêtés,
  • Les grilles d’entretiens remplies,
  • Les documents annexés à ces grilles (factures énergie, projets de réhabilitation...)
  • Les annotations portées sur les grilles par les enquêteurs
  • Les appréciations formulées ultérieurement par les enquêteurs auprès de l’équipe.
  • Ce matériel est appelé à être traité de la façon suivante :
  • Calcul des notes « performance » et « émissions » pour chaque logement enquêté
  • (réalisé) ;
  • Saisie de l’ensemble des items de l’enquête ménage dans une base de donnée de traitement d’enquête (réalisé)
  • Constitution d’éléments statistiques de base (réalisé)
  • Exploitation détaillée de la base de données (à réaliser)
  • Exploitation approfondie du matériel recueilli lors de certains entretiens (à réaliser)
  • Production des éléments rédactionnels de notre recherche (à réaliser)
  • Retour vers certains ménages (à réaliser)

Premiers comptages

Statuts d’occupation

Une parité a été obtenue entre propriétaires occupants (dont une part significative d’accédants) et statuts locatifs et apparentés. La part de ces derniers, initialement prévue moins importante, a été augmentée suite à des remarques de l’ADEME lors du séminaire du 3 février 2009 sur l’intérêt d’enquêter des locataires, notamment HLM.

statut d'occupation Ménages enquêtés

locataires 44 46%

propriétaires* 46 48%

logé gratuit 2 2%

hébergé 1 1%

usufruit 1 1%

autre 1 1%

Total général 95

100%

* dont 20 accédants

Compositions familiales

Une diversité de compositions familiales a été respectée

Type de ménage Ménages enquêtés

couple 16 17%

Cpl + enfants 28 29%

personne seule 26 27%

seul + enfants 25 26%

Total général 95

100%

Age des enquêtés

Panel étendu et, volontairement, bonne représentation des personnes âgées.

Age personne enquêtée

0-26 2%

27-36 20%

37-46 29%

47-56 17%

57-66 14%

67-76 7%

77 et + 11%

Localisation des ménages enquêtés

Des analyses plus fines seront bien entendu menées.

Localisation

Urbain 4 5 47%

périurbain- villages 10 11%

rural 40 42%

95 100%

Revenu Fiscal de Référence

Logiquement, les ménages enquêtés sont particulièrement modestes, avec un tiers de ménages aux minima sociaux. Les chiffres ci-dessous récapitulent le RFR par personne et par an du ménage. La tranche ma plus élevée correspond ainsi à un RFR d’environ 1000€ par personne et par mois, et ne représente que 5% de notre échantillon.

RFR par personne

0 (minima sociaux) 31 33%

0 à 3000 13 14%

3001 à 6000 21 22%

6001 à 9000 18 19%

9001 à 12000 7 7%

12001 à 15000 5 5%

95 100%

Performance énergétique des logements enquêtés

57% de logements avec étiquette E ou supérieure, 14% d’étiquettes G dont plusieurs supérieures à 900…

étiquette consommations

A moins de 50 0%

B 51 à 90 3%

C 91 à 150 11%

D 151 à 230 29%

E 231 à 330 29%

F 331 à 450 14%

G plus de 450 14%

Chauffage : une très grande diversité de situations

La diversité est accrue par les combinaisons observées (nous avons relevé les solutions complémentaires mobilisées par les ménages, dont certains combinent trois filières pour se chauffer.

Chauffage principal Ménages enquêtés

bois cheminée 3 3%

bois cuisinière 4 4%

bois poêle 2 2%

électricité (accumulation) 1 1%

électricité (appoint) 1 1%

électricité par points 31 33%

fuel central 15 16%

gaz bouteille 1 1%

gaz citerne 1 1%

gaz ville central 33 35%

gaz ville poêle 1 1%

pac 1 1%

poêle pétrole 1 1%

Total général 95

100%

Chauffage : une sensibilité très présente

Par ailleurs, 13% des enquêtés nous déclarent avoir chez au moins un élément du ménage un problème de santé lié à leurs conditions de logement.

problème de santé sensibilisant au froid Ménages enquêtés

non 69 73%

oui 26 27%

Total général 95

100%

Premiers enseignements du traitement en cours

Le traitement de l’enquête vise à explorer les hypothèses formulées dans le cadre de notre projet de recherche. Toutefois, le dépouillement de base des questionnaires comme les retours des enquêteurs ont fait émerger quelques chocs forts qu’il est intéressant de restituer à ce stade du travail, avant que ne commencent les exploitations et les approfondissements.

Introduction:

Le traitement de l’enquête est en cours. Mais la nature même de la démarche d’enquête, lourde (entretiens de 2 heures), et le fait de réaliser les entretiens au domicile, apportent une très grande richesse d’informations non pas sur la précarité énergétique mais sur l’approche de la précarité. Les questions posées, inhabituelles, fond débat et l’administration aux ménages du questionnaire à suscité discussions et demandes d’éclaircissement pour trouver un langage commun (ou constater l’absence de langage commun).

Le fait d’être à domicile a permis de recueillir indirectement des informations liées aux modes de vie et aux arbitrages économiques réalisés par les ménages, qui offrent un contrepoint subtil au recueil d’information du questionnaire lui-même. La nature budgétaire globale de notre approche remet totalement en question la notion de précarité énergétique au sens où cette précarité serait distincte de la précarité économique tout court. N’est-il pas plus « politiquement correct » de parler de précarité énergétique, ce qui renvoie à de la technique et au logement, que de parler de précarité économique, qui renvoie aux ressources, mais aussi au choix de vie des personnes ? Notamment, il convient d’opérer une distinction importante entre les ménages en précarité énergétique qui entrent déjà dans le cadre de dispositifs de solvabilisation par des aides et soutiens publics (aides aux plus démunis, secours…) et ceux qui sont situés aux lisières de ces dispositifs et qui sont impactés de plein fouet par les phénomènes de précarité malgré des ressources a priori plus élevées. Cela concerne plus particulièrement des ménages en accession « sociale » à la propriété, dont le « reste à vivre » est le plus contraint, pour lesquels la précarité énergétique globale (habitat + déplacements) entraîne un basculement dans une précarité économique et sociale globale.

Cette remise en question, à ce stade, peut se résumer en une série de « chocs » culturels :

Choc n°1:

Dans l’attention portée par les ménages à leur budget et à leurs contraintes de vie, il y a clairement deux poids et deux mesures, deux niveaux de conscience : La plupart des postes budgétaires sont identifiés, calculés, parfois très travaillés, notamment dans le cas de ménages à très faibles ressources qui « font attention à tout »… Et malgré cela,

  • Le poste automobile / carburant, parfois très important, n’est JAMAIS compté (de même que ce qui concerne la téléphonie mobile et internet). On sait que cela a un coût, on fait parfois des efforts pour limiter les déplacements, pour choisir les transports en commun etc. mais aucun ménage ne connaît son budget auto. Sans parler d’un prix de revient kilométrique intégrant entretien, assurances, etc., la plupart des ménages rencontrés ne sont simplement pas en mesure de dire combien ils dépensent chaque mois en carburant. Contrairement au poste énergie de chauffage, qui est lié au logement, donc à une enveloppe technique dont on peut blâmer les défauts, le budget auto est intimement lié à l’individu et à sa liberté, c’est un budget « hors cadre » il sort de l’espace de la gestion domestique, comme pour d’autres budgets moins importants et différents selon les ménages (magazines, Française des Jeux, boissons alcoolisées, etc. .). Typiquement, ce n’est pas le budget dont on va discuter avec un travailleur social. Par ailleurs, payable comptant avant consommation, le carburant ne peut directement donner lieu à de l’endettement ou de l’impayé, contrairement au combustible.
  • L’eau est chère, certains veillent à ne pas la gaspiller, mais on n’en connaît pas les coûts et on ne gère pas réellement sa consommation, sauf certaines attitudes d’économie extrême, notamment de la part de personnes âgées douées d’une culture de la ressource rare.

Choc n°2:

La précarité énergétique perçue est totalement déconnectée de la précarité énergétique vécue.

Exemple (réel) A :

un couple Mme. titulaire AAH, M. salarié, revenu total mensuel net 1800€ occupant un T4 locatif HLM. Accueillent épisodiquement un grand enfant. Dépenses d’énergie dans la moyenne basse, logement OK.

« je suis en difficulté, je n’arrive pas à faire face à mes charges d’énergie »

Exemple (réel) B :

une femme seule RSA-RMI 5 enfants à charge dans le même T4 locatif HLM même résidence que exemple A. logement tenu, enfants douchés chaque jour etc. consommations eau énergies dans les normes en rapport avec la nature du ménage.

« je suis dans la moyenne, je n’ai pas de problèmes particuliers avec les charges d’énergie »

Le très fort niveau de contrainte pesant sur les ménages à faibles ressources structure un mode de vie où tout est calculé, mesuré. Pour les familles, les locataires, les déplacements se font sur une aire limitée, les courses sont groupées, les dépenses sont mesurées, le recours au confort est dosé, les solidarités familiales et la débrouillardise sont mobilisées. Pour les personnes âgées propriétaires occupants, la frugalité du mode de vie (alimentation, chauffage, loisirs) est poussée à l’extrême, facilitée dans certains cas par des modes de vie hérités d’époques de pénuries. Dans un espace économique et un espace de vie à fortes contraintes obligeant le ménage à un niveau de « performance » important, la contrainte liée aux énergies est une contrainte comme une autre, voire une contrainte plus maîtrisable que les autres ».

En revanche, dès que le niveau social s’accroît, que la tenaille des contraintes économiques se desserre, que l’aire géographique d’activité et le champ du possible s’accroissent (en restant toutefois dans le champ des ménages « modestes »), le niveau d’exigence et de consommation s’élève… et les personnes interrogées se sentent en décalage avec la moyenne des ménages et disent avoir des difficultés avec les énergies.

Exemple (réel) C :

un ménage achetant 20€ de magazines people par semaine (soit 80€ par mois) et se déclarant dans l’incapacité de payer une mensualisation à 70€ incluant électricité + chauffage électrique), soit un montant particulièrement resserré au regard du logement concerné.

Choc n°3 :

La question des énergies, au coeur du budget des accédants à la propriété modestes (déplacements, chauffage), est totalement absente de leurs processus de choix. « On a flashé sur cette maison et on a fait le tour des banques ». « On rêvait d’avoir notre maison ». Les coûts d’énergie sont assumés par la suite comme quelque chose d’intangible, pas comme le produit d’un choix.

L’habitat, bouc émissaire de la précarité économique ? Une grosse échéance : c’est le logement qui ne convient pas… Auprès des ménages concernés par la précarité énergétique « ressentie », l’habitat est toujours considéré avant le mode de consommation.

En multipliant les démarches de diagnostic, d’orientation (parfois non pertinentes) vers les dispositifs de lutte contre la non décence et l’insalubrité, le travail social entre dans cette logique de « la faute au logement ».

La précarité énergétique : forcément ?

  • Pour les ménages les plus contraints (minimum vieillesse, RSA, AAH…) les niveaux de prestation d’une part et le coût objectif des énergies d’autre part rendent la précarité énergétique inévitable, soit que les ménages se privent des énergies, soit que les dépenses d’énergie nuisent à d’autres dépenses.
  • Pour les ménages modestes mais moins contraints, notamment locataires, la précarité moindre est contrebalancée par un sentiment de frustration et une moindre acceptation des contraintes économiques, mais aussi des charges parfois plus importantes liées à une gestion budgétaire et des comportements moins performants.
  • Pour les accédants à la propriété à revenu très modeste, le processus d’accès au logement (situation périphérique, logement ancien non performant, charges d’emprunt importantes) entraine de facto une précarité énergétique.
  • On peut parler d’un « degré d’exposition » à la précarité énergétique qui relève de critères multiples (sociaux, économiques, techniques…), les ménages les plus démunis n’étant systématiquement les plus exposés, même s’ils sont a priori les plus contraints.

La relation des ménages aux possibilités de « remédiation » est à considérer également, avec selon les ménages des attitudes très disparates :

  • choix / non choix (ex : propriétaire ou locataire ne sont pas logés à la même enseigne)
  • définitif / non définitif (ex : occupant qui est objectivement dans le champ de la précarité énergétique, mais qui le reconnaît pas forcément, et qui de toute façon est en relation « nomade » avec le logement
  • capacités d’autofinancement ou pas, avec en particuliers le problème des personnes âgées chez lesquelles l’ampleur des travaux qui seraient à entreprendre (structure immeuble ; adaptation…) recouvre parfois complètement les priorités techniquement analysées de lutte contre la précarité énergétique. Ici, la précarité énergétique est bien une précarité globale qui rejoint le mal logement.

Quelles politiques publiques ?

Intérêt de politiques de lutte contre la précarité plus segmentées sur la base des ménages et pas sur la seule base des performances intrinsèques des logements (DPE) ;

Intérêt pour certains ménages d’un accompagnement budgétaire globalisé plutôt que centré sur les énergies et les comportements liés aux énergies ;

Absurdité de vouloir améliorer le comportement des « ultra modestes » (déjà performant) ou de leur proposer des améliorations de l’habitat impliquant un investissement de leur part (trop de contraintes préexistantes). Pour ces derniers, peut être réfléchir à des apports en nature (réalisation directe de travaux au domicile).



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